Chants de Noël
Toujours aussi humide et dégoûtant, mon appartement. Ça ne s’était pas arrangé pendant mon absence. Un vrai cul-de-basse-fosse. Bon dieu, comment je faisais pour vivre comme ça ? Ça avait quelque chose d’effrayant. J’ai enjambé un certain nombre d’objets non identifiés qui se trouvaient par terre. J’ai fait exprès de ne pas trop les regarder. Je ne tenais pas à savoir ce que c’était. J’ai également évité de regarder mon lit.
Mon lit ressemblait à quelque chose qui aurait dû se trouver dans la section des fous dangereux d’un asile psychiatrique. Je n’avais jamais été un faiseur de lits extraordinaire, même à l’époque, il y a bien des lustres, où l’on m’y avait encouragé.
Ma mère me hurlait tout le temps : « Pourquoi tu ne fais pas ton lit ! Est-ce qu’il va falloir que je fasse tout à ta place ? »
Une fois que j’avais fait mon lit, elle hurlait : « Alors, tu n’es même pas fichu de faire ton lit comme il faut ! Regarde-moi ces draps ! On dirait des nœuds coulants. Je me demande vraiment ce que je vais bien Pouvoir faire de toi ! Pitié, Seigneur, pitié, je vous en Prie ! » Et voilà que maintenant je lui devais huit cents dollars, mon lit ressemblait à la potence où l’on avait pendu les assassins d’Abraham Lincoln, et je n’avais encore pas appelé ma mère de la semaine.
Il fallait que je prenne une douche pour faire bonne impression sur mon client : je me suis déshabillé ; je m’apprêtais à ouvrir le robinet quand je me suis rendu compte que je n’avais pas de savon. J’avais utilisé les derniers petits bouts qui me restaient quelques jours plus tôt. En plus, la lame de mon rasoir était si usée qu’on n’aurait même pas pu raser une poire avec.
J’ai songé un moment à me rhabiller, à sortir et à aller chercher du savon et des lames de rasoir, mais je me suis rappelé qu’il n’y avait pas un seul magasin dans un rayon d’un kilomètre à qui je ne doive pas d’argent. Si j’avais le malheur de sortir mon beau billet de cinq dollars devant un commerçant, j’allais me faire écarteler tout vif.
Pas question…
Alors comment faire ?
Je ne pouvais pas emprunter de savon ni de lame de rasoir à un locataire de l’immeuble : je les avais tous râtissés, un véritable incendie de forêt. Il n’y en aurait pas eu un pour me prêter un bout d’albuplast si j’avais eu la gorge tranchée.
J’ai réfléchi soigneusement à tout ça.
Mon raisonnement était en gros le suivant : l’eau est plus importante que le savon. C’est vrai, à quoi sert le savon sans eau ? A rien. Bon, alors. Donc, logiquement, l’eau devait pouvoir s’en sortir toute seule ; de plus, c’était mieux que rien, si vous me suivez bien.
M’étant convaincu du bien-fondé de cette démarche logique, j’ai ouvert le robinet et je suis passé sous la douche. J’en suis immédiatement ressorti.
« WAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHOUOUOUOU-OUOUOUOUOUOUOU ! » j’ai hurlé, en sautant de douleur dans tous les sens.
L’eau était absolument bouillante et je payais pour ça. Dommage que je n’aie pas poursuivi mon raisonnement au point de régler la température de l’eau pour que ça soit supportable à un être humain.
Bon, enfin…
C’était juste que je n’y avais pas pensé. Dès que la douleur s’est calmée, j’ai réglé les robinets d’eau chaude et d’eau froide de manière qu’ils se mélangent, produisant ainsi un environnement acceptable pour quelqu’un qui prend une douche sans savon.
D’habitude, je chante en prenant ma douche ; alors, en prenant ma douche, j’ai commencé à chanter :
Accou-rez, les fi-dèles, joy-yeux z’et tri-omphants,
Accou-rez ac-courez, ve-nez z’à Bé-thle-hem.
Ve-nez le con-templer, Lui, nééê le Roi des Zanges…
Je chante toujours des chants de Noël en prenant ma douche.
Il y a quelques années de ça, j’ai passé la nuit avec une femme, à l’époque où je vivais dans un appartement plus chic. Elle était secrétaire chez un gars qui vendait des voitures d’occasion. Je l’aimais vraiment beaucoup cette fille. J’avais espoir que ça devienne très très sérieux entre nous. Voire d’obtenir une réduction de quelques dollars sur une voiture d’occasion.
On était déjà sortis plusieurs fois tous les deux, mais c’était la première fois qu’on couchait ensemble ; on s’était pas mal débrouillés du tout ; enfin, moi je trouvais. C’était l’époque où j’avais du savon, et du coup, le matin, je suis allé prendre ma douche. Elle était toujours au lit lorsque je suis sorti de la pièce. Je suis passé sous la douche et je me suis mis à chanter :
C’est par un clair
ciel de
mi-nuit,
qu’un chant de gloi-re est a-rri-vé…
Je chantais, tranquille…
Quand j’ai eu fini de prendre ma douche, je suis revenu dans la chambre : elle n’était plus là. Elle s’était levée, habillée et elle était partie sans rien dire ; mais elle avait laissé un mot sur ma table de chevet.
Le mot disait :
Cher Mister Card,
Je vous remercie pour ces bons moments.
Ayez la gentillesse de ne plus me rappeler.
Salutations distinguées,
Dottie Jones
Il faut croire qu’il y a des gens à qui ça ne plaît pas d’entendre des chants de Noël en plein mois de juillet.